« Chaque matin, depuis des années ma journée commence avec un sachet de thé que je plonge dans une tasse d’eau frémissante. Un jour, alors que je faisais ce même geste (je pense que c’était au printemps 2000) j’ai eu comme un déclic. Dans le sachet humide et froissé que je venais de sortir de l’eau, j’ai senti comme une présence. J’ai alors vraiment regardé le sachet pour la première fois, et j’ai pensé « on se ressemble »; on est là lui et moi, mais qui se soucie de notre présence ? Qui remarque même que nous existons ? C’est pour cela que j’ai décidé de mettre de côté les sachets que je buvais, de les sécher et de les garder, avec l’idée plus tard de les rendre visible . Au fil des mois, les dizaines de sachets sont devenus des centaines… Ils étaient là dans mon atelier, chacun comme un bout de souffle, de voix ou de couleur, et aucun ne ressemblant à son acolyte. En commençant à réaliser mes premiers collages je me suis rapidement aperçu que mon souffle seul n’allait pas suffire. Moi, qui suis un solitaire ne parlant pas beaucoup, j’ai fini par en parler à mes élèves, à des amis et voisins qui ont aimé l’idée de participer à l’oeuvre en buvant, séchant et récoltant des dizaines de sachets pour que nos voix puissent se retrouver sur un pan de mur, une toile de jute ou un objet sans âge, pour être vues, senties (l’odeur a également une part importante dans ce travail) et entendues.
Matériellement, il me fallait de plus en plus de sachets pour des réalisations de plus en plus grandes et spirituellement je sentais que plus « nous » étions nombreux et plus la polyphonie de nos souffles donnerait de la profondeur, du sens, à l’oeuvre… Bien souvent dans l’art contemporain ce sont les idées, les concepts qui précédent l’oeuvre. Pour moi, les choses arrivent naturellement comme une évidence, pas l’une après l’autre, mais plutôt les unes avec les autres, les expliquant souvent, les transformant et leur donnant une autre tournure parfois… c’est ainsi qu’ensemble nous avançons intellectuellement mais aussi spirituellement… Aujourd’hui « les espaces tempérés de l’intime » sont les voix de ceux que l’on n’entend pas, c’est un espace du savoir vivre ensemble, un espace qui au départ pour moi était plus poétique mais qui par la force des choses est devenu aussi politique… ce sont ces mêmes voix qui disent ici et là à travers l’Europe en crise « si vous nous empêchez de rêver, nous vous empêcherons de dormir » A. Rotch